Entretien de Mathieu Pernot par Etienne Hatt « entre cet ailleurs et moi » publié dans « La ruine se demeure », édité chez EXB en 2022

Une partie du projet La Ruine de sa demeure semble extérieure aux images et résider dans le simple fait d’entreprendre ces voyages pour te rendre dans des lieux où se croisent ton histoire familiale et la grande histoire récente. Quelle expérience personnelle cela a-t-il représentée ?
Je ne suis pas une personne qui voyage beaucoup dans ma vie privée, et encore moins dans le cadre de mon travail photographique, que j’ai toujours réalisé dans une géographie de proximité avec mes sujets (à l’exception d’un voyage en Roumanie en 1998). J’ai pourtant ressenti le besoin de partir et d’aller voir ailleurs. Un ailleurs qui ne m’était pas complètement étranger puisqu’il concernait des lieux dans les- quels mon père a grandi et qui ont fortement marqué son identité. Le Liban existait comme un territoire familial à la fois proche et lointain que je ne connaissais pas mais qui faisait partie de mon histoire. C’est donc cela que je suis allé retrouver en réalisant ce voyage. Et c’est ainsi qu’un incroyable concours de circonstances s’est produit: l’immeuble dans lequel mon père avait grandi dans le quartier de Sanayeh à Beyrouth n’avait pas été détruit (contrairement à la quasi-totalité des immeubles de cette époque du centre-ville), et l’appartement où il vécut pouvait être loué pour y passer des séjours. J’ai donc pu dormir dans ce logement qui était resté en l’état. Cette expérience a été sidérante et je me souviens encore de l’émotion de mon père lorsqu’il a découvert mes photos du logement qu’il avait quitté soixante ans plus tôt. J’ai pris cela comme un clin d’œil du destin et un encouragement pour refaire le voyage que mon grand-père avait réalisé un siècle avant dans plusieurs pays du Moyen-Orient et dont les traces ont été conservées dans un très bel album photographique. Lorsque je suis revenu à Beyrouth, après être allé en Syrie et en Irak, l’immeuble était condamné à la suite de l’explosion survenue dans le port le 4 août 2020. Le garde-corps du balcon, devant lequel mon père posait enfant, était tombé dans la rue et servait à condamner l’entrée de l’immeuble. La grande et la petite histoire se trouvaient entremêlées et une boucle se refermait. Cette histoire-là était finie.

N’y a-t-il pas un risque à vouloir associer une histoire personnelle à la grande histoire ? Qu’est-ce que la juxtaposition des deux permet?
Le fait d’associer les récits me permet de parler de l’histoire de cette région dans un temps long couvrant un siècle. Mon père est né à Tripoli à l’époque où le Liban, comme la Syrie, était sous mandat français. Sur une photo réalisée lors du voyage de mon grand-père, on voit d’ailleurs que ma famille traverse la frontière entre « le Grand Liban » et « l’État des Alaouites », qui était l’un des États créés par la France dans la région. Cette histoire de famille n’était cependant qu’un prétexte pour commencer ce voyage. Elle était une porte d’entrée qui me permettait de poser un cadre sur la façon d’aborder le travail.

La Ruine de sa demeure s’appuie sur une note d’intention fondée sur des recherches et des intui- tions. Sur place, quelles pistes envisagées se sont avérées fructueuses? Lesquelles ont dû, au contraire, être abandonnées ?
Je suis parti de rien avec ce projet, sans la moindre idée des difficultés que j’allais rencontrer et de la possibilité de me rendre dans certains territoires. La seule matière que j’étais sûr de posséder était les archives familiales. Il y a une chose à laquelle j’ai renoncé et qu’il me semblait devoir convoquer dans ce projet : le fait que mon père soit né à Tripoli et que sa naissance ait été la conséquence directe du décès de sa sœur aînée, morte accidentellement dans cette grande ville du Nord du Liban. Mon père était une sorte de consolation au chagrin immense de mes grands-parents, qui ont conçu cet autre enfant après la perte d’une de leurs deux filles. La notion de catastrophe était présente dès le début de cette histoire. Cette enfant a été enterrée à Tripoli, où son corps est resté après le retour de ma famille en France. J’ai cherché pendant plusieurs jours cette tombe dans les cimetières de la ville et je pensais que cela pourrait être le point de départ du travail. Mais cette recherche n’a abouti à rien, si ce n’est l’accomplissement d’une promesse de recherche que j’avais faite à mon père.

Ce travail, notamment en raison de la quantité et de la diversité des images produites, tranche avec tes projets antérieurs qui, pour la plupart, furent réalisés en France et en suivant une logique sérielle. Comment interprètes-tu le déplacement de tes centres d’intérêt et de ton mode opératoire ?
J’éprouvais le besoin de passer à autre chose, aussi bien dans l’expérience singulière du voyage que dans la façon de travailler. Je n’avais pas d’acquis et de savoir-faire dans cette pratique photographique, pas plus que je ne connaissais ces territoires meurtris par l’histoire. Cette double ingénuité m’a permis d’in- venter une nouvelle façon de faire, plus ouverte et moins circonscrite à une série ou une idée précise. J’étais l’étranger qui a tout à apprendre et qui n’a que ses yeux pour comprendre. Je déambulais dans ces villes que je découvrais en sachant que je n’aurais probablement pas l’opportunité d’y retourner. Il fallait donc travailler rapidement et saisir chaque occasion de faire images. Les obstacles et les difficultés sont nombreux dans cette région et il faut pouvoir se faufiler parmi les contraintes.

Cette série emprunte-t-elle au modèle du reportage photographique ? En quoi s’en distingue-t-elle ?
Le modèle que j’ai souhaité questionner est celui de l’album de voyage en prolongeant celui que mon grand-père avait réalisé au Moyen-Orient en 1926. Je suis retourné dans des endroits précis, photo- graphiés par mon aïeul près d’un siècle auparavant, et j’ai voulu prolonger la route jusqu’à Mossoul. J’ai retrouvé les colonnes de Baalbek sur lesquelles ma grand-mère posait ainsi que les arcades du souk d’Homs ou les canons du château Saint-Gilles de Tripoli à côté desquels mon grand-père se mettait en scène. Il y a le voyage dans l’histoire et la géographie familiales et le voyage dans les images. La façon d’as- socier les corpus et de construire des récits relève aussi d’une logique de montage telle qu’on la retrouve dans ces albums. Les photographies ont des formats différents et circulent assez librement sur les pages du livre ou sur les murs de l’exposition. Leur déroulé est chronologique et restitue la cartographie d’un voyage morcelé de Beyrouth à Mossoul.

Des motifs ou des sujets se sont-ils révélés dans le voyage ? Des choses que tu ne pensais pas faire et qui se sont imposées d’elles-mêmes?
Je pensais ne photographier que le bâti et n’imaginais pas faire de portraits, mais la présence des habi- tants s’est vite imposée comme une nécessité. Je les ai photographiés dans leur environnement avec une certaine distance et en regardant la façon dont les personnes habitent l’espace. J’arrive après la bataille, au moment où les résidents essayent d’apprivoiser leur quartier transformé par la guerre. J’ai perçu cette région du Moyen-Orient comme un théâtre tragique dans lequel les habitants, après avoir été spectateurs et victimes du conflit, deviennent les acteurs de la reconstruction. Parmi les motifs qui se sont imposés, il y a notamment celui des rideaux métalliques, qui ont constitué un sujet récurrent que j’ai décliné au fil du voyage. Destinés à fermer l’accès et cacher la vitrine, ils ont littéralement fondu à Mossoul lors des bombardements, ont été perforés par les balles à Tripoli, tandis qu’à Damas on y peint le drapeau syrien et le visage de Bachar Al-Assad. Prévus pour occulter ce qui est derrière, ils font apparaître en leur surface un réel qui en dit long sur la région.

As-tu travaillé de façon différente selon les pays? Les difficultés rencontrées étaient-elles les mêmes ?
La façon de travailler, tout comme la possibilité de se rendre dans certains pays sont très différentes. Il n’est pas nécessaire d’avoir un visa pour aller au Liban alors que la possibilité pour un photographe occidental de voyager en Syrie, dans les zones tenues par le régime, est quasiment nulle en ce moment. C’est dans ce pays que la situation est la plus tragique, avec très peu d’espoir de voir une amélioration à court terme. Le pays a été écrasé par le régime qui est resté en place. Le portrait de Bachar Al-Assad est partout et se déploie de toutes les façons imaginables, sous forme d’autocollants, de peintures au pochoir, d’affiches dans la rue ou de pare-soleil à l’arrière des voitures. Il n’est pas possible de faire un pas sans tomber sur son portrait et se sentir surveillé. D’une certaine façon, la démesure du déploiement de son image constitue la symétrie inversée du projet iconoclaste de Daech de faire disparaître toutes les formes de représentation. Au néant de la destruction répond la nausée du trop-plein. Il me semblait donc important d’interroger la présence de cette image/visage de propagande, comme un motif omniprésent, régnant sur les ruines d’un pays défiguré.

Ce projet pourrait se heurter à plusieurs écueils. Le premier serait celui de l’orientalisme, ensemble de représentations de l’Orient élaborées par l’Occident et parties prenantes d’une volonté de sujé- tion. Ces représentations stéréotypées se sont notamment forgées à la faveur de la tradition du Grand Tour et grâce à la photographie. Face à cette tradition, face à ces images, quelles réponses offres-tu ? Le second écueil, qui est d’ailleurs peut-être une manière d’échapper au premier, serait le catastrophisme, dont le spectaculaire est un des registres et la ruine de guerre un des motifs. La Ruine de sa demeure s’apparente-t-il à du tourisme noir?
Le voyage que j’ai réalisé pourrait s’inscrire dans la tradition des voyages en Orient qui ont suivi l’inven- tion de la photographie. Je pense surtout au plus connu d’entre eux : celui que le photographe Maxime Du Camp et Flaubert ont réalisé ensemble au milieu du xixe siècle. Je prolonge cette fascination que la ruine moyen-orientale a toujours suscitée, notamment auprès des photographes. Ce médium est lui- même l’expression d’une perte, la présence d’une absence, il donne à voir ce qui n’existe plus l’instant de la prise de vue passé. La mélancolie de la photographie redouble celle de la ruine représentée. Cependant, je ne crois pas que la question de l’orientalisme se pose aujourd’hui de la même façon dont elle se formu- lait auparavant. S’il fallait le redéfinir, il serait peut-être même, après ces dernières décennies de guerres, le négatif de ce qu’il fut au xixe siècle. L’obscurité de la violence a symboliquement remplacé la lumière du Levant. Pour autant, la région n’est pas devenue un trou noir, pas plus qu’elle ne vivrait une année zéro à partir de laquelle il faudrait tout recommencer. L’histoire continue et les villes se reconstruisent. Mon point de vue est celui du voyageur étranger qui découvre les choses en surface et qui s’en tient au visible. Je garde une distance et la photographie permet d’établir une zone de contact entre cet ailleurs et moi.

La ruine est omniprésente puisque le livre comprend des vues de sites antiques photographiés par ton grand-père il y a près d’un siècle, les mêmes sites aujourd’hui, après les conflits récents et l’iconoclasme de Daech, et, enfin, des ruines de guerre. Ces ruines anciennes et contemporaines ont des valeurs contradictoires. Quel est l’effet recherché de leur juxtaposition ?
Les ruines photographiées dans cet ouvrage couvrent une période de plus de 3 000 ans d’histoire. Il n’y a pas d’effet recherché mais juste le constat de ce qui est, dans cette région du monde où semblent cohabiter à la fois l’origine de notre histoire et sa fin tragique. En accédant au site de Nimroud et en marchant sur le Tell dynamité par Daech, je voyais des tablettes d’écriture cunéiforme cassées dont les éclats jonchaient le sol. Daech a eu pour projet de détruire tout ce qui faisait signe et image sur le territoire qu’il occupait. Des sites de l’époque assyrienne, des temples romains, des églises chrétiennes et des bâtiments contem- porains ont été détruits. Une véritable tabula rasa était à l’œuvre. À ces destructions opérées par Daech, ont succédé celles du régime syrien avec le soutien des Russes et des Iraniens et celles de la coalition occidentale en Irak et dans l’Est de la Syrie. L’explosion du port de Beyrouth a été le dernier épisode tragique à produire un nouveau niveau de destruction. L’ensemble de ces désastres donnent le sentiment d’une forme de continuité de la ruine, comme si ce territoire ne pouvait exister en dehors de cet état.

Tu arrives après les faits. Est-ce pour constater et donner à voir l’étendue de la catastrophe ? Est-il possible de dépasser l’évidence des ruines pour identifier d’éventuels indices de résilience, de survivance, de reprise ?
Au milieu des ruines, il y a des gens qui reconstruisent leur maison, installent un commerce, des enfants qui jouent et des personnes âgées qui viennent discuter. En regardant un immeuble qui semble complè- tement détruit, on verra que les menuiseries d’un appartement ont été refaites et que les occupants sont revenus chez eux. Le moment qui suit les bombardements et précède les phases de reconstruction massive est celui d’un entre-deux insensé. C’est aussi le moment où il est possible de se poser pour regarder et com- prendre, après la folie de la guerre et des bombardements. C’est un état de suspension qui ne dure jamais très longtemps à l’échelle de l’histoire de ces villes et qu’il me semble important de penser et de représenter.

Quelles œuvres t’ont marqué sur ces questions de destruction?
Le livre Beyrouth centre ville, publié en 1992, a beaucoup compté pour moi. C’est un ouvrage collectif dans lequel on retrouve notamment les photographies réalisées par Robert Frank et Gabriele Basilico dans la capitale libanaise détruite par les années de guerre civile. La vision de Basilico est détachée et établit froidement le constat de la destruction. Il est comme un médecin légiste qui observe de l’extérieur le cadavre de la ville avec la plus grande minutie. Frank a une vision plus organique, un point de vue de piéton qui se promène à l’intérieur du corps malade. Il réalise des tirages qu’il colle et scotche de façon très brute pour reconstituer des fragments de territoire. Ces deux visions opposées et associées à la ville où mon père a grandi ont beaucoup influencé ma façon d’entreprendre ce travail.

Tes images sont réunies dans un livre. À quels principes répondent l’enchaînement, la juxtaposi- tion, le montage des images ?
Il y a la chronologie historique des images et la cartographie du voyage qui déterminent le déroulé du récit photographique. Il y a surtout l’état des lieux que j’ai photographiés qui m’a amené à produire un certain type de montage. Certains endroits, comme la vieille ville de Mossoul, ont été anéantis par les bombes et réduits à l’état de gravats et de monticules de terre et de pierres à l’intérieur desquels gisaient encore des cadavres en putréfaction au moment où j’y étais. Au-delà du constat de ce qui est, comment l’image photographique peut-elle signifier la destruction? Dans certains cas, j’ai décidé de travailler par assemblages d’images qui reconstituent une continuité du sujet représenté. Un territoire urbain, un paysage ou un site archéologique se donnent à voir par fragments dans le jeu du montage. Il peut aussi arriver que les photographies soient associées simplement parce qu’elles sont proches et se prolongent visuellement alors qu’elles montrent des choses différentes. Il y a l’illusion d’une forme de continuité et, en même temps, le constat de l’impossibilité de photographier la totalité d’une chose qui n’existe plus en son état d’avant-guerre. L’objet représenté est détruit et l’œil essaye autant qu’il le peut de recoller des morceaux par le montage des images. Ce sont des tentatives d’archéologie visuelle pour reconstituer ce qui a été cassé.

Le livre commence et se termine par des images dont tu n’es pas l’auteur, un fac-similé de pages de l’album photographique de ton grand-père au début, quelques photographies de la famille de ton père enfant à Beyrouth et, à la fin, des portraits d’anonymes, dont beaucoup d’enfants, trouvés dans les ruines de Mossoul. Quelles valeurs attribues-tu à ces différents corpus d’images ? Quels liens fais-tu entre eux et avec tes images?
Dans les maisons détruites et abandonnées de la vieille ville de Mossoul se trouvait la photographie de ce garçon tenant dans ses bras celle que j’imagine être sa petite sœur. Ils sourient et la petite fille tient dans ses mains un bouquet de fleurs. Cette image qui a survécu aux bombardements de la ville m’a bouleversé. Elle m’a aussi rappelé l’image sur laquelle mon père est porté sur le dos de sa sœur sur le balcon de l’appartement de Beyrouth. Ce sont des photographies d’enfants qui racontent des histoires de familles dont le destin n’a rien en commun mais qui parlent de la joie d’être vivant et parmi les siens. Il me semblait important de convoquer des images faites par ceux qui avaient vécu dans ces lieux et qui en montraient une sorte de normalité. Le destin tragique des villes du Moyen-Orient nous semble bien loin alors que nous nous reconnaissons dans le quotidien des photographies de famille montrant des scènes prises avant la guerre.

Post-scriptum
La Ruine de sa demeure tranche avec les travaux antérieurs de Mathieu Pernot. Au cours de l’entretien, nous avons évoqué des sujets, des géographies et des modes opératoires jusqu’alors sans véritables équiva- lents dans son œuvre. En effet, l’artiste ne s’était jamais confronté aussi directement et durablement à la guerre et à ses ruines en allant ainsi sur le terrain pour en rapporter un témoignage. En 2000, il s’était bien rendu à Beyrouth pour photographier, plusieurs années après, les traces de la guerre civile. Mais, depuis, il avait surtout travaillé en France et composé des ensembles de séries sur les questions migra- toires, l’urbanisme ou les lieux d’enfermement. Il avait aussi continué son compagnonnage avec une famille de Roms, les Gorgan, rencontrée lors de ses études à l’école de photographie d’Arles au milieu des années 1990.

Pourtant, à la fin des années 2010, Mathieu Pernot dépasse Beyrouth et le Liban, lieux qui appar- tiennent encore à l’histoire familiale, pour se rendre en Syrie et en Irak. On pourra dire qu’il ne fait que suivre les traces de son grand-père, dont le voyage touristique dans la région entrepris il y a près d’un siècle fut consigné dans un album photographique. Ce serait ignorer que ce déplacement de l’artiste hors de sa géographie habituelle n’est bientôt plus une exception. Récemment, au cours de l’année 2020, il s’est rendu à deux reprises sur l’île de Lesbos pour photographier le camp de migrants de Moria dont il a tiré le livre Ce qu’il se passe (GwinZegal, 2021).

Aujourd’hui, ouvrant sur de nouvelles géographies, ces voyages photographiques remontent la chaîne migratoire jusqu’aux crises du Moyen-Orient qui, ces dernières années, ont largement alimenté les migrations à destination de l’Europe. Les deux séries révèlent aussi de nouvelles méthodes de travail. Les images sont bien plus nombreuses que dans les autres travaux et, surtout, ne répondent pas à une logique sérielle fondée sur un protocole de prise de vue. Ces dernières réalisations sont traversées par des sujets et des motifs qui se répètent mais agrègent des prises de vue plus hétérogènes. Le regard se libère, il gagne en mobilité pour être au plus proche et au plus juste de la matière du réel dont il entend rendre compte.

On aurait pourtant tort de voir dans ce livre un simple constat. Comme les travaux antérieurs de Mathieu Pernot, c’est un commentaire; un commentaire sur les situations décrites, bien sûr – et l’artiste les a explicitées au cours de l’entretien –, mais aussi sur les images, leurs statuts et leurs fonctions. Ce qui intéresse Mathieu Pernot avec La Ruine de sa demeure est de comprendre ce que peut produire, dans les mêmes pays mais un siècle plus tard, le modèle du voyage photographique, alors que la signification d’un motif récurrent comme celui de la ruine a été irrémédiablement bouleversée. C’est cette même curiosité qui, sur l’île de Lesbos ou au Moyen-Orient, comme dans la plupart de ses travaux, le pousse à confronter ses images à d’autres, prises aux mêmes endroits mais à d’autres moments et par d’autres personnes. Ces dernières sont des images trouvées ou sollicitées. La plupart sont anonymes. Il ne gomme pas le registre auquel chacune appartient. Il ne se les approprie pas mais les tresse avec les siennes. Si bien que suivre Mathieu Pernot sur le terrain, c’est aussi plonger dans la photographie et ses histoires entremêlées.

É. H.